City Guides

Lisbonne

 

Lisbonne, terre de rencontres à la croisée de l’Atlantique Nord et Sud… Pour explorer la ville blanche, surnommée ainsi en raison de la luminosité de ses façades ocre, il y a mille chemins possibles. Pour MOYI, le meilleur parcours suit forcément les traces de l’Afrique à Lisbonne, une présence indissociable de l’histoire des conquêtes ultramarines portugaises qui ont amené à elle les populations africaines depuis plus de 500 ans.

Notre guide est  Naky Gaglo M., un jeune homme togolais qui s’est installé à Lisbonne il y’a quelques années.

La Place du Commerce (Praça do Comércio), porte d’entrée de la ville, est le point de départ de notre parcours. Elle s’ouvre sur l’estuaire du Tage par un embarcadère où l’on débarquait autrefois les épices, denrées, esclaves et l’or des colonies, de Sao Tomé-et-Principe au Cap-Vert, en passant par l’Angola, le Mozambique et la Guinée-Bissau, et avant même la naissance de l’empire portugais, de la main-d’œuvre africaine pour assurer le développement du pays. Aux XVIe et XVIIe siècles, la population de la capitale comptera jusqu’à 10 % de Noirs, esclaves ou libres. Peut-on imaginer qu’une telle diversité vivante n’ait pas contribué à façonner son identité ? Si Lisbonne exprime aujourd’hui discrètement sa part d’Afrique, elle ne l’altère pas. En cela, elle est ce pont jeté entre deux continents.

DORMIR

Le lobby de l’ Independente Hostel & Suites – Photo de Baptiste De Ville D’Avray

Dans la capitale portugaise, un grand choix de prix et de standing vous est proposé.

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Pour les petits budgets, nous vous recommandons le Bairro Alto Hotel,ou encore Casa do Principe, un bed and breakfast de grand charme, dans un immeuble du XIXe siècle. Les plus jeunes lui préféreront The Independente, un ovni hôtelier à la fois auberge de jeunesse et boutique-hôtel. Dans ce quartier alternatif où naissent les soirées lisboètes, vous ne serez jamais loin d’un bar ou d’une discothèque aux sonorités et liqueurs africaines.

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Au cœur d’un quartier pittoresque, il y a le Santiago de Alfama hotel ou, dans un style plus audacieux, le Memmo Alfama Hotel Lisboa, combinaison parfaite entre tradition (façade ancienne du XIXe siècle) et modernité (fresque street art et mobilier design).

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Le Palácio Belmonte, dans le plus ancien palais de la ville bâti sur la muraille, vous fera vivre une expérience unique. Cet immense et sublime bazar chic se classe parmi les meilleurs hôtels de la ville. On y va pour sa vue, ses espaces communs et sa décoration folle, mélange d’œuvres contemporaines et de meubles anciens. On y reste pour son site au cœur du quartier typique de l’Alfama où l’on retrouve les traits urbains du Maghreb et les influences maures datant du VIIIe siècle, comme la fontaine du Roi (chafariz d’El-Rei) à ses pieds.

EAT

Espaço Espelho d’Água, qui sert une cuisine fusion Angolo-Portugaise à Lisbonne – photos de Baptiste De Ville D’Avray

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La gastronomie portugaise est avant tout populaire comme en témoignent ses classiques, la morue sous toutes ses formes ou le Caldo verde, soupe revigorante, mais aussi les mets variés que l’on trouve dans les tabernas du quartier Lapa-Madragoa ou aux différents comptoirs du célèbre Mercado da Ribeira / Time Out Market : croquettes, charcuteries, sardines, vins, portos, sushis, éclairs aux mille parfums…

Pour prendre la mer, direction Atira Te Ao Rio, au pied du Cristo de Rei. On a craqué pour les seiches au wasabi, à savourer face au coucher du soleil et au fameux pont du 25 Avril.

Une minuscule taverne fait parler d’elle ces derniers mois, Taberna da Rua das Flores: tout y est parfait, le pain, le vin, les palourdes ou le carpaccio, pour une note incroyablement légère.

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Les amateurs de cuisine africaine s’offrent une cachupa — plat typique cap-verdien à base de pois chiche et de maïs — chez Domingo in Tambarina, en plein cœur du triangle créole, dans le quartier de São Bento où les noms des rues racontent le mythe des Guinéens (le Poço dos Negros).

Pour une cuisine fusion angolo-portugaise, rendez-vous à Belém, à l’ Espaço Espelho d’Agua, prisé tant pour sa cuisine que pour sa vue imprenable sur le Tage, ses expositions et son bar végétal. Ce bâtiment Art déco bâti en 1940 pour l’Exposition universelle a conservé son mur réalisé à l’époque par l’artiste Sol LeWitt !

Non loin de là, on en prend plein les sens au Bairro de Avillez,

un espace industriel moderne dément où l’on peut en même temps acheter des produits gourmands dans la mercearia (épicerie) et déguster un bon plat dans la taberna ou dans l’espace pateo, royaume des produits de la mer.

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Le soir venu, l’atmosphère bouillonnante du quartier Bairro Alto où l’on peut se régaler de délicieuses tascas, typiques tapas portugaises, n’empêche pas de dîner dans l’ambiance plus feutrée et cosy du très tendance The Insolito / The Decadent, réputé pour son cocktail détonnant, réalisé par un mixologiste parmi un choix étonnant. À quelques rues de là, la A Cevicheria du chef Kiko Martins propose une expérience gustative crue incroyable !

De nombreuses tables, tenues par de jeunes prodiges de la gastronomie (José Avillez en tête), se trouvent au Chiado, centre historique. Autre incontournable, le Belcanto, où l’on mitonne une cuisine portugaise revisitée et sophistiquée.

 

SHOPPING

Profitez de la richesse de l’artisanat portugais et faites vos emplettes à la Casa de Vellas Loreto, une sublime boutique de bougies en plein cœur du Chiado, ou à la Conserveira de Lisboa pour de délicieuses sardines et autres conserves. Pour les amateurs de thé, La Companhia Portuguesa do Chá – Vieira & Pinto remet au goût du jour une vieille tradition portugaise importée du Japon dès 1543. Petit clin d’œil à l’Afrique, ce rare et délicat thé vert bio Rukeri du Rwanda qui pousse à une altitude de 1 600 m. Pour un choix plus large, plusieurs concept stores à cibler dans des espaces magnifiques comme Embaixada, à l’architecture néo-mauresque dans Principe Real. Sinon, la célèbre boutique A Vida Portugesa et sa sélection de produits typiques portugais vintage réactualisés.

Petits et grands apprécieront en outre de passer une journée au LX Factory Arts Center, notamment dans son incroyable librairie, Ler Devagar, aux milliers de livres. Le petit plus du dimanche : un marché rural qui vend produits du terroir, bijoux ou fripes de créateurs.

DÉCOUVRIR

MAAT – Musée d’ Art, d’Architecture et de Technologie, qui a ouvert ses portes en 2016 dans le quartier de Belem, à Lisbonne – Photo de Baptiste De Ville D’Avray

Depuis plus de cinq siècles, Lisbonne attire des populations noires issues, pour la plupart, de l’Afrique lusophone ou francophone. Cet héritage du passé se retrouve dans bon nombre de ses lieux de culture ou de divertissement. Les visiteurs peuvent flâner le long du Tage, attraper à la volée un tramway pour grimper au château São Jorge, point culminant de la ville qui a tout vu d’elle depuis le Ve siècle, ou à la Mouraria, berceau du fado et quartier multiculturel.

Entre la Gulbenkian Foundation et le Museu Berardo, en passant par le MAAT (Museum of Art, Architecture and Technology) à Belém, les férus d’art sont servis. Les enfants s’enthousiasmeront pour le Museu Nacional dos Coches, l’une des plus grandes collections au monde de carrosses. Les fans de street art, eux, ne manqueront pas de visiter la galerie Underdogs, créée par Vhils, maître incontesté de la discipline. Sans oublier le Musée Ethnologique de la Société de Géographie de Lisbonne et ses collections d’objets ramenés des expéditions dans les anciennes possessions portugaises, qui font la part belle à l’art africain.

La nuit lisboète est muito quente. Si vous aimez la batida, mélange saccadé de rythmes africains très dansants, comme le kuduro, et de sonorités électros, tentez les soirées du célèbre label Principe Discos. Pour ceux qui veulent danser de la salsa ou du kizomba jusqu’au bout de la nuit, en route pour le Barrio Latino Café ou The Docks Club. Dans un style plus alternatif, la Casa Independente, tenue par une équipe féminine de choc. Sinon, après une bière au kiosque du miradouro Santa Catarina, devant la statue du géant Adamastor, l’esprit du Cap de Bonne-Espérance, on peut continuer la soirée au Park, un rooftop bar aménagé sur le toit d’un parking, ou se rendre dans le Bairro Alto, au mythique Clube da Esquina.

EN SAVOIR PLUS

Alfonso I, King of Kongo, and father of Dom Henrique. Henrique became the first bishop of the Kongo kingdom and the first African bishop of the Catholic Church. (image libre de droit par Affricoll9/Creative Commons)

DOM HENRIQUE, PREMIER ÉVÊQUE AFRICAIN DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Au milieu du XVe siècle, le Portugal jouit de l’exclusivité du commerce avec l’Afrique (qui marquera le début des traites négrières). Ce monopole coïncide avec une première tentative d’évangélisation du continent, au royaume de Kongo (territoires actuels du nord de l’Angola, de la République du Congo, de l’extrémité occidentale de la République démocratique du Congo et d’une partie du Gabon), donnant naissance à une micro élite lettrée qui part étudier à Lisbonne, dont le fils du roi Alphonse 1er, Lukeni Lua Nzinga, qui deviendra le premier évêque africain de l’histoire de l’Église catholique sous le nom de Dom Henrique.

L’Igreja São Domingos à Lisbonne – Photo de Baptiste De Ville D’Avray

IN THE DAYS OF THE BLACK CONFERENCES

L’ Igreja São Domingos (l’église Saint-Dominique) fut transformée en couvent fin XVe, début XVIe siècle. C’est là que se retrouvait la Confrérie de Notre-Dame du Rosaire des hommes noirs, également présente au Brésil. Il s’agit de l’une des premières confréries nationales — et sans doute européennes — accueillant des Noirs dans les églises. Autrefois plus grande église de la ville, elle a survécu à deux séismes (1531 et 1755) et à un incendie dévastateur en 1959. La plupart des fraternités et confréries de Noirs ont été créées sous l’invocation de Notre Dame du Rosaire, dont le culte a commencé la transition au cours des XIIe et XIIIe siècles. Selon certains historiens, l’utilisation du chapelet pour prier aurait facilité son adoption par les Noirs, qui auraient associé l’objet aux talismans. Cette confrérie fut contestée par les dévots blancs de l’église qui créèrent la confrérie du Rosaire des hommes blancs. Pourtant, la Couronne a toujours soutenu, avec l’Ordre des Dominicains, l’existence de confréries noires, permettant de ce fait l’affranchissement de leurs membres et leur intégration sociale et culturelle. Aujourd’hui encore, une grande partie de la communauté afrodescendante continue de se réunir dans cette église, située dans le quartier Rossio, point de rendez-vous des Guinéens, Angolais et Sénégalais depuis la révolution de 1974.

Autre lieu saint, perché sur les hauteurs, l’ Igreja da Graça  (Notre-Dame de la Grâce) et ses saints noirs, Sainte-Iphigénie et Saint-Elesbao.

FADO, A CROSSBRED MUSIC

Mélopée à la fois triste et langoureuse, popularisée par des voix comme Cesária Évora, le fado aurait des racines brésiliennes et africaines. Du moins, c’est ainsi que le décrit le Bavarois J. Friedrich von Weech, qui, lors de son voyage en Amérique du Sud entre 1823 et 1827, écrit : « Il y en a beaucoup qui dansent le fado, une danse imitée des Africains pendant laquelle les danseurs chantent ; il s’agit d’é́carter et de rapprocher les corps, ce qui en Europe serait considé́ré́ comme indé́cent ». D’autres voyageurs auraient fait des récits et témoignages similaires où ils attribuent aux esclaves africains l’apparition de ce rythme lascif. Véritable musique de la rue, le fado exprime autant les souffrances, la pauvreté, l’exil que l’amour ou l’espoir. Allez l’écouter ou le danser sur la terrasse du Museu do Fado, ou au Fado em Si, dans un cadre typique aux arcs de pierres, ou encore au convivial Boteco da Fa. Dans le Bairro Alto, l ‘Adega Machado, fondé en 1937, lui consacre des dîners-spectacles.